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Une binaire à deux spectres

9/10/2015.
Plus de la moitié des étoiles de notre Galaxie font partie de systèmes doubles ou multiples : deux ou plusieurs étoiles, généralement de tailles, masses et couleurs différentes, sont en orbite autour du centre de gravité du système. Selon les caractéristiques du système, séparation angulaire entre les composantes, luminosités et masses de celles-ci, différentes méthodes permettront de les distinguer d’une étoile simple et d’obtenir de précieuses informations telle que leur masse... mais bien souvent il est impossible de déceler leur duplicité.

Même si une majorité de ces systèmes seront observés par Gaia comme des étoiles simples, chacun des instruments de Gaia va apporter son lot d’informations détaillées sur des millions de systèmes. En particulier, l’instrument spectroscopique de Gaia, le RVS, va permettre la détection des variations de vitesses radiales pour les étoiles plus brillantes que la magnitude 15 environ. Pour la très grande majorité des systèmes, les spectres observés seront la combinaison des spectres de chaque composante.

Mouvement d’une binaire spectroscopique
Frédéric Arenou

Les binaires identifiées par cette méthode sont appelées binaires spectroscopiques. On observe les variations de la vitesse radiale de la plus brillante ou des deux composantes du système selon la différence de magnitude entre les composantes. Ces variations sont dues au déplacement de chaque composante autour de leur centre de gravité commun. Elles produisent le déplacement des raies spectrales de l’ensemble du spectre par effet Doppler-Fizeau : vers le rouge lorsque la composante s’éloigne de nous, vers le bleu lorsqu’elle s’en rapproche (voir figure ci-dessus, © F. Arenou). Quand l’une des composantes est beaucoup plus faible que l’autre, on ne voit que le déplacement de l’un des deux spectres. C’est cette méthode qui a permis la détection d’une très grande partie des planètes extrasolaires connues à ce jour.

Quand les deux composantes sont assez brillantes et ont des luminosités comparables, les spectres du RVS peuvent montrer des raies d’absorption qui se dédoublent pour une majorité des transits de CCDs : lorsque les vitesses radiales des deux composantes sont distinctes. Chaque transit de CCD dure 4 secondes et permet donc une analyse fine de rapides variations de vitesses radiales.

L’une des équipes de la CU6 (Unité de Coordination n°6 du Gaia Data Processing and Analysis Consortium - DPAC - chargée du traitement des données spectroscopiques de Gaia) a développé un pipeline de traitement spécialement adapté à l’identification et à la mesure de ce type d’étoile. Dans une première étape, l’algorithme permet d’estimer la probabilité que le spectre provienne d’un système binaire (en adaptant un algorithme, TODCOR, développé par Zucker et Mazeh en 1994). Ensuite, l’algorithme compare le spectre observé à la combinaison de deux spectres d’intensités et vitesses radiales différentes. Ces spectres sont des spectres synthétiques obtenus à partir de modèles d’atmosphère pour des étoiles avec différents paramètres atmosphériques (gravité, température effective, métallicité) et différentes vitesses de rotation, et convolué par le profil instrumental du RVS. L’algorithme détermine enfin la combinaison de l’ensemble de ces paramètres qui reproduit le mieux les spectres observés. Les vitesses radiales ainsi obtenues pour chaque composante seront ensuite analysées par la CU4 (chargée, entre autres des systèmes doubles) en vue de la détermination des orbites.

L’équipe a testé les performances de cet algorithme sur un certain nombre de binaires spectroscopiques à double spectre (SB2, systèmes pour lesquels les déplacements des deux spectres sont observables) bien connues et a comparé les vitesses radiales obtenues à celles qui sont prédites à partir du Catalogue SB9 (9th Catalogue of Spectroscopic Binary Orbits, Pourbaix et al. 2004).

Spectres RVS de la SB2 HIP 70674 à deux phases de son orbite
ESA/Gaia/DPAC/CU6 Yassine Damerdji (Observatoire d’Alger/Institut d’Astrophysique et de Géophysique de Liège) & Pasquale Panuzzo (CNRS/Observatoire de Paris)

La figure ci-dessus (© ESA/Gaia/DPAC/CU6 Yassine Damerdji, Observatoire d’Alger/Institut d’Astrophysique et de Géophysique de Liège)& Pasquale Panuzzo, GEPI, CNRS/Observatoire de Paris) montre les résultats obtenus pour HIP 70674, une SB2 de magnitude V=7.99, composée de deux étoiles de magnitudes quasi identiques en orbite l’une autour de l’autre sur une orbite circulaire de période 4 jours. HIP 70674 a été observée avec le RVS en août et décembre 2014, puis en mars 2015. Le graphique du haut montre le spectre de HIP 70674 observé lors de deux transits différents de l’un des CCDs du RVS à deux phases différentes de l’orbite. La courbe du haut correspond à une différence maximum entre les vitesses radiales des deux composantes. On voit clairement que les raies d’absorption sont dédoublées. La courbe du bas montre le spectre obtenu alors que les vitesses radiales des deux composantes sont presque identiques. Dans ce cas, les raies d’absorption sont superposées.

Le graphique du bas montre les vitesses radiales des deux composantes obtenues par le RVS pour 6 transits différents (disques verts pour la composante A, cercles rouges pour la composante B), comparées aux valeurs prédites en fonction de la phase (courbe verte pour la composante A, courbe rouge pour la composante B) à partir du Catalogue SB9. Le très bon accord entre observations Gaia et valeurs prédites par le Catalogue SB9 valide l’algorithme développé dans le cadre de la CU6 et la capacité de détection de binaires spectroscopiques à partir de l’analyse d’un seul transit de l’étoile sur les CCDs du RVS.

Pour plus d’information en anglais, voir Gaia Image of Week du 9 Octobre 2015.

Pour plus de détail en français sur les binaires spectroscopiques, voir Binaire spectroscopique.