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Six mois de tests

26/06/2014. Après bientôt six mois de mise en route, de tests et de calibration des multiples éléments du module de service et de la charge utile de Gaia, les opérations nominales vont démarrer à la mi-juillet après une revue complète de tous les aspects de cette mise en route (commissioning).

Petite récapitulation  :

  • le lancement et la mise en orbite autour de L2 ont été parfaits, laissant ainsi une large marge de combustible pour de futures manœuvres,
  • l’ouverture des panneaux solaires, la mise sous tension de l’ensemble des CCDs du plan focal et la mise en route du balayage du ciel dans ses deux options (balayage des pôles écliptiques et balayage opérationnel avec précession de l’axe de rotation) se sont passés parfaitement,
  • la mise en route du module de service a été effectuée suivant le planning prévu : mise en route des deux systèmes de propulsion (chimique pour les grandes manœuvres, micro-propulsion par jets de gaz froid pour maintenir la rotation du satellite sur lui-même et compenser les effets des radiations solaires) ; tests du système de contrôle de l’attitude du satellite et du contrôle thermique ; validation de la stabilité et de la précision de l’horloge de bord (horloge atomique au rubidium) ; vérification du taux de transmission des données au sol. Seul problème : l’un des systèmes de propulsion chimique est en panne. Le second fonctionne heureusement parfaitement et des études sont en cours pour retrouver un système redondant pour effectuer les manœuvres.
  • la mise en route de la charge utile s’est révélée un peu plus longue que prévu à cause de plusieurs problèmes inattendus entrainant tests et vérifications supplémentaires. Cependant, les éléments essentiels fonctionnent parfaitement : les 106 CCDs et leurs électroniques associées ; les 7 ordinateurs de bord contrôlant les CCDs ; le système d’acquisition, de traitement et de stockage de données à bord ; les télescopes, dont l’alignement et la mise au point ont permis de vérifier la très bonne qualité des images ; les spectrophotomètres et le spectrographe dont les résolutions spectrales sont conformes aux spécifications.

Les dessins ci-dessous montrent le trajet de Gaia sur son orbite pendant 5,5 ans, en projection sur le plan de l’écliptique, avec les dates critiques de l’injection vers L2 (à gauche, dessin adapté de figures de F. Mignard (OCA) et de A. Rudolph et D. Milligan (ESOC)), et à droite, un schéma montrant ce qu’il serait advenu de Gaia si les deux manœuvres critiques des 7 et 14 janvier n’avaient pas eu lieu (ESOC-A. Rudolph et D. Milligan) : il serait parti très loin.

Orbite de Gaia dans le plan de l’écliptique
Adapté de figures de F. Mignard (OCA) et de A. Rudolph et D. Milligan (ESOC)
Orbites de Gaia avec et sans manœuvres

 

Les photos ci-dessous montrent l’écran de contrôle du plan focal de Gaia à l’ESOC, le 3 janvier 2014, pendant la mise sous tension des rangées successives de CCDs : à gauche, seulement 3 rangées sont sont allumées, à droite, tous les CCDs sont sous tension et fonctionnent normalement (photos W. O’Mullane, ESA/Gaia).

Mise sous tension des CCDs de Gaia
ESA/Gaia/W. O’Mullane
Mise sous tension des CCDs de Gaia
ESA/Gaia/W. O’Mullane

 

Pendant tous ces réglages, Gaia a continué à balayer le ciel et observer sans discontinuer. La figure ci-dessous à gauche montre, en coordonnées équatoriales, la surface du ciel balayée pendant les cinq premiers mois de mise en route. L’échelle des couleurs montre la densité des observations par degré carré. Celle-ci dépend à la fois de la densité d’objets dans le ciel à un endroit donné et de la fréquence des balayages. Les deux zones jaunes orangées montrent les positions des pôles écliptiques où la densité d’observations a été très grande grâce à la loi de balayage particulière utilisée pendant cette phase de mise en route de la mission. La figure de droite montre la quantité de données obtenues pendant un week-end d’observation avec Gaia (Figure J. Portell & J. Hernandez).

Couverture du ciel pendant les 5 premiers mois de mise en route de Gaia
ESA/Gaia/DPAC/Airbus DS
Un week-end de données
J. de Bruijne, J. Portell et J. Hernandez

 

Pendant cette période de mise en route, un mode de fonctionnement particulier des repéreurs d’objets célestes a été utilisé pour réaliser des images de test et vérifier l’alignement des différents miroirs, la mise au point des télescopes et l’ajustement de la vitesse de propagation des charges dans le plan focal à la vitesse de rotation du satellite sur lui-même. Par ailleurs, les premiers spectres des spectrophotomètres et du spectrographe ont montré la qualité de ces instruments.

 

Surprises et problèmes.

  • La première surprise a été de constater que le satellite Gaia lui-même avait une luminosité nettement plus faible qu’anticipé avant le lancement (et nettement plus faible que le satellite Planck qui avait été pris comme modèle) : sa magnitude R est de l’ordre 20,5 alors qu’une magnitude 18 (± 3 mag !) était prévue. L’observation depuis le sol étant nécessaire à l’amélioration de l’orbite, il a fallu revoir complètement le dispositif et s’assurer le concours de télescopes de plus grand diamètre (de l’ordre de 2m de diamètre) ainsi que d’observations radio en interférométrie à très longue base (VLBI). Ce problème est maintenant maitrisé. Voir Où est Gaia pour plus de détail.
  • La deuxième surprise a été de voir une diminution de la réflectivité des miroirs non conforme aux prévisions. La raison la plus probable serait le dépôt de glace d’eau sur les miroirs : celle-ci s’évapore lorsque l’on chauffe les miroirs. Cette opération était prévue pour décontaminer la charge utile de toute la vapeur d’eau emmagasinée avant et pendant le lancement (c’est pourquoi les miroirs sont équipés de radiateurs) mais on ne pensait pas qu’il serait nécessaire de la répéter. Elle a déjà été effectuée deux fois et le sera très certainement encore dans les mois à venir, mais en sélectionnant le ou les miroirs qui nécessitent cette opération. Après chaque opération les miroirs retrouvent leur réflectivité normale.
  • La troisième surprise, plus ennuyeuse, est l’observation de lumière parasite, d’intensité variable selon la position dans le plan focal et clairement corrélée au mouvement de rotation du satellite lui-même. Deux sources ont été identifiées : d’une part la Voie Lactée, les étoiles les plus brillantes et la lumière zodiacale, dont la lumière semble se réfléchir sur le toit de la tente qui abrite les télescopes, d’autre part la lumière du Soleil diffractée par les bords du bouclier thermique. Un modèle a été développé pour tenter d’expliquer ces réflexions imprévues, mais tout n’est pas encore compris en détail. L’hypothèse la plus probable est que de la glace s’est déposée sous le toit de la tente qui protège la charge utile, le rendant réfléchissant. Cette lumière parasite augmente le bruit de fond des mesures et va donc affecter en priorité les objets les plus faibles du programme : la précision astrométrique d’une étoile de type solaire de magnitude apparente 20 pourrait être dégradée de 290 à 430 microsecondes d’arc et la précision photométrique de 40 à 60-80 millimagnitudes. Par contre, pour une étoile de magnitude 15, la dégradation serait minime (précision passant de 24 à 25 microsecondes d’arc, et de 4 à 5 millimagnitudes). L’instrument le plus touché est le spectrographe, et cela pourrait diminuer sa magnitude limite de 1 à 1,5 magnitudes. Diverses actions sont en cours pour mieux comprendre ce phénomène et développer des stratégies d’observation différentes pour optimiser la collecte des données et leur qualité.
  • La quatrième surprise a été d’observer des variations de l’angle de base plus grandes que prévues. Ces variations sont mesurées par un "Moniteur de l’angle de base", dispositif interférométrique extrêmement précis, capable de mesurer de très petites variations de l’angle de base. Son fonctionnement est en cours de test et il semble fonctionner correctement, au moins avec une précision de 10 microsecondes d’arc. Cependant, une compréhension complète du phénomène ne sera possible qu’après une longue période d’observations continues dans des conditions d’observations normales (avec la loi de balayage nominale). Une fois le phénomène complètement testé et compris, il devrait pouvoir être pris en compte dans l’analyse astrométrique des données.

On peut conclure de ces six mois de mise en route que l’ensemble des instruments du module de service et de la charge utile de Gaia sont en parfait état, mais que l’analyse des données a montré un certain nombre de problèmes qui sont, soit déjà maîtrisés, soit encore en cours d’investigation détaillée.

On peut rappeler que le démarrage de missions spatiales aussi innovantes ne se fait pas toujours sans la moindre difficulté : on peut se rappeler d’Hipparcos qui resta coincé sur une orbite de transfert vers l’orbite géostationnaire qu’il aurait dû atteindre et de Hubble qui a commencé sa carrière avec de sérieux problèmes de vision. Dans les deux cas, les résultats ont finalement été au-delà de toutes les espérances ! Nous sommes confiants que les résultats de Gaia vont révolutionner notre connaissance et notre compréhension de la Voie Lactée et du Système Solaire.

Cartoon emprunté à une présentation de J. de Bruijne (ESA) :

Leçons du passé !
J. de Bruijne