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Gaia et les étoiles non simples : un trésor !

30/06/2022. Le troisième catalogue Gaia, Gaia DR3, contient, pour la première fois, des résultats sur des centaines de milliers de systèmes d’étoiles doubles : rien de moins que 800 000 systèmes sont décrits à partir des résultats obtenus grâce aux trois techniques utilisées à bord de Gaia, l’astrométrie, la photométrie et la spectroscopie. Dans un système d’étoiles, deux objets ou plus sont en orbite autour de leur centre de gravité commun. Selon que ces objets sont plus ou moins loin les uns des autres, que leurs masses et leurs luminosités sont plus ou moins différentes, qu’ils sont plus ou moins loin du Soleil, leur signature sera différente. Par signature, on entend la perturbation du mouvement sur le ciel, ou les variations de luminosité ou de vitesse radiale observées par Gaia.

Figure 1 : Les trois instruments de Gaia, l’instrument astrométrique, les photomètres bleu et rouge, et le spectromètre (Radial Velocity Spectrometer, RVS), permettent l’observation de phénomènes différents. A gauche, mouvement sur le ciel d’une binaire astrométrique : le plus souvent, Gaia ne peut pas distinguer les deux composantes, mais mesure avec précision les perturbations sur le photocentre dues à la présence d’un compagnon (voir aussi Figure 3). Au centre, une binaire à éclipses : Gaia observe des éclipses lorsque l’un des compagnons passe devant l’autre (observable lorsque Gaia observe l’orbite par la tranche). A droite : les spectres obtenus par le RVS pour une binaire spectroscopique. Les vitesses radiales des deux composantes varient le long de l’orbite. © ESA/Gaia/DPAC/CU4/NSS, Nathalie Bauchet.

Les trois instruments de Gaia sont parfaitement complémentaires : les objets relativement proches de nous, avec une grande séparation entre les compagnons et des périodes de l’ordre du mois ou de l’année (∼ 100-1500 jours), sont détectés par l’astrométrie ; les objets en orbite l’un autour de l’autre avec de petites périodes, de l’ordre d’heures ou de jours (∼ 0.3-5 jours), sont très proches l’un de l’autre, rendant plus probable la possibilité de transit (passage d’un objet devant l’autre sur la ligne de visée de Gaia), provoquant des baisses de luminosité régulières, facilement mesurables par les photomètres de Gaia même si les objets sont très éloignés de nous ; le spectromètre (le RVS) détecte les variations de vitesses radiales dans un grand éventail de périodes (∼ 1-1000 jours) pour les objets assez brillants pour être observables par l’instrument (et donc essentiellement, relativement proches). En quelques années, Gaia a couvert un intervalle de période impressionnant : de 0,28 à 1500 jours. Gaia DR3 contient déjà les paramètres de 135 000 binaires astrométriques (environ 40 fois plus que le dernier catalogue existant), de 87 000 binaires à éclipses (sous-ensemble des plus de deux millions de binaires à éclipses détectées en photométrie), de 185 000 binaires spectroscopiques (environ 45 fois plus que le catalogue SB9), et de 33 000 binaires à la fois astrométriques et spectroscopiques. De plus, grande nouveauté, ces systèmes couvrent tous les types d’étoiles, y compris les naines blanches, et des compagnons invisibles : très légers comme des exoplanètes ou des naines brunes, ou très lourds et non, ou peu, lumineux, comme des étoiles à neutrons ou des trous noirs dormants. Autant de systèmes dont l’identification reste à confirmer.

Figure 2 (à gauche) : Distribution des périodes des systèmes dont les orbites ont été déterminées, en fonction de leur magnitude apparente G : les binaires à éclipses sont les plus faibles et avec les périodes les plus courtes, les binaires astrométriques sont plus brillantes (essentiellement entre 8 et 16 mag.) avec de longues périodes, et les binaires spectroscopiques complètent l’éventail des périodes, allant de moins d’un jour à plus de 1000. © Gaia Collaboration, Arenou, F., et al. 2022.
Figure 3 (à droite) : Les binaires astrométriques, à éclipses ou spectroscopiques sont détectées par les instruments de Gaia dans des zones de dimensions différentes, projetées sur une vue d’artiste de notre Galaxie © ESA/Gaia/DPAC - CC BY-SA 3.0 IGO. Remerciement : vidéo créée par Nathalie Bauchet et basée sur l’article Gaia Data Release 3 : Stellar multiplicity, a teaser for the hidden treasure" Gaia Collaboration, Arenou, F., et al. 2022.

 

Binaires astrométriques

Les premiers catalogues Gaia ont traité toutes les étoiles comme si elles étaient simples, dégradant la qualité des paramètres astrométriques. Or une grande partie d’entre elles font partie de systèmes doubles ou même multiples. La Figure 4 montre les modifications au mouvement sur le ciel d’une étoile dont un compagnon perturbe la trajectoire. La Figure 5 montre les orbites des 335 binaires astrométriques plus proches que 50pc observées par Gaia. Elle montre la variété des orbites et des types d’étoiles. Ces dernières couvrent l’ensemble du diagramme de Hertzsprung-Russell, y compris les séquences des naines brunes et des naines blanches.

Figure 4 (à gauche) : Mouvement sur le ciel de HD 33115 (Gaia DR3 4810832695483445760), une binaire astrométrique découverte par Gaia. A gauche : projection sur le ciel du déplacement de l’étoile dû à la combinaison de la parallaxe et du mouvement propre sur 1000 jours. Au milieu : modélisation du mouvement orbital, à la même échelle. A droite : combinaison des trois mouvements telle qu’observée par Gaia. © SA/Gaia/DPAC, CC BY-SA 3.0 IGO. Remerciements Johannes Sahlmann (Groupe RHEA pour l’ESA) qui a utilisé le site https://github.com/ManimCommunity/manim.
Figure 5 (à droite) : Projection sur le ciel des orbites de 335 binaires astrométriques mesurées par Gaia, représentées à l’échelle et classées par distance croissante du Soleil jusqu’à 50 pc. La couleur correspond approximativement à la couleur de la source telle que déterminée par Gaia, le violet/bleu indiquant les étoiles chaudes et les naines blanches, le vert/jaune les étoiles semblables au Soleil, et le rouge les étoiles froides de faible masse. ESA/Gaia/DPAC, CC BY-SA 3.0 IGO. Remerciements : Johannes Sahlmann (Groupe RHEA pour l’ESA) qui a fait usage de https://github.com/ManimCommunity/manim. Inspiré par les orreries de Kepler.

 

Les binaires à éclipses Les binaires à éclipses sont détectées par leurs variations lumineuses régulières, avec deux diminutions successives et répétées de la luminosité de l’ensemble : quand le compagnon le plus petit et le moins lumineux passe derrière l’autre, la luminosité de l’ensemble diminue légèrement. Lorsqu’il passe devant, il occulte une partie de la lumière du compagnon le plus brillant et la diminution de la luminosité globale est plus marquée (voir Figure 1). Ces éclipses ne peuvent être observées que si le plan de l’orbite du système est précisément dans la ligne de visée des télescopes de Gaia. Plus les deux objets sont proches l’un de l’autre, plus la probabilité est grande de les voir passer l’un devant l’autre. Lorsqu’ils sont très proches, ils peuvent même être en contact ou échanger de la matière. La forme de la courbe de lumière sera alors différente, légèrement modifiée par les déformations éventuelles de la surface de l’un des compagnons dues à l’influence gravitationnelle du plus massif et aux distributions de température de leurs atmosphères. Voir un exemple sur la Figure 6. Parmi les plus de deux millions de binaires à éclipses détectées par les observations photométriques de Gaia, les orbites de 87 000 systèmes ont été publiées dans Gaia DR3. Voir un exemple sur la Figure 7. En plus des paramètres orbitaux, l’analyse complète de ces systèmes permet de déterminer la somme des rayons des deux composantes et le rapport de leur températures.

Figure 6 (à gauche) : Deux exemples de courbes de lumière, en magnitude G, de binaires à éclipses détectées grâce aux mesures photométriques de Gaia. Elles sont repliées en utilisant les périodes orbitales : 2,57 jours pour le système du haut, 2,05 jours pour celui du bas. La courbe du bas est déformée par les effets gravitationnels exercés par au moins l’un des compagnons sur la géométrie et la température de l’autre. © ESA/Gaia/DPAC, d’après l’article Gaia Data Release 3 : The first catalogue of Gaia eclipsing binaries - Candidate identification, Mowlavi et al. 2022 - CC BY-SA 3.0 IGO.
Figure 7 (à droite) : Binaire à éclipses observée par Gaia et par TESS. En haut, variations des vitesses radiales mesurées par le spectrographe de Gaia, au-dessous : variations en magnitude G puis en magnitudes BP et RP, en bas, courbe de lumière de TESS. © ESA/Gaia/DPAC - CC BY-SA 3.0 IGO, d’après l’article Gaia Data Release 3 : Stellar multiplicity, a teaser for the hidden treasure" Gaia Collaboration, Arenou, F., et al. 2022, Figure 30
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L’observation de systèmes d’étoiles : la meilleure façon de peser les étoiles La masse est un paramètre fondamental car c’est d’elle dont dépend la rapidité (ou la lenteur) de l’évolution d’une étoile. Disposer de très nombreuses masses, pour des étoiles de types très différents, permet d’étalonner les modèles d’évolution stellaire. La manière la plus sûre d’obtenir la masse d’une étoile est d’observer les mouvements de systèmes stellaires : c’est la masse des composantes qui conditionne la forme de l’orbite. Pour plus de 433 000 systèmes, les orbites ont pu être déterminées, soit à partir des seules observations astrométriques, soit à partir des observations spectroscopiques ou photométriques, soit en combinant ces diverses observations. Pour environ la moitié de ces systèmes, les masses des deux composantes ont pu être obtenues en combinant les différentes observations obtenues par Gaia : type spectral de la composante principale, orbite astrométrique (Figure 1, à gauche) et/ou variation des vitesses radiales (voir Figure 1, à droite) du système. Il est aussi possible, dans certains cas, d’estimer la magnitude de chacune des composantes même si les deux étoiles ne sont vues que comme une source unique sur le ciel car la position du photocentre dépend à la fois du rapport de masse des composantes et de leur rapport de luminosité. Pour des milliers d’étoiles, ces masses sont déterminées pour la première fois, et ceci, pour des étoiles normales, mais aussi pour des compagnons invisibles très intéressants car très légers (naines brunes ou exoplanètes) ou très lourds (naines blanches, étoiles à neutrons ou même trous noirs). La Figure 8 montre deux exemples de variations de la vitesse radiale de l’étoile la plus brillante lorsqu’elle est 4 fois plus massive que son compagnon (à gauche) et 4 fois moins massive (à droite).

Figure 8 : Variations de la vitesse radiale selon le rapport de masse des deux composantes. A gauche, la masse de la composante visible est 4 fois plus grande que celle de la composante invisible. A droite, c’est l’inverse. © ESA/Gaia/DPAC, F. Arenou & N. Bauchet.

Parmi les objets très légers, on trouve des étoiles qui se placent tout en bas du diagramme de Hertzsprung-Russell (diagramme HR) : objets substellaires tels que des naines ultra-froides (ultracool dwarfs) et des naines brunes jusqu’aux types spectraux L4 et T5. Ces résultats confirment en particulier l’existence du désert de naines brunes autour des étoiles de type solaire. On trouve aussi des exoplanètes dont plusieurs douzaines de nouvelles découvertes, en orbite autour d’étoiles de divers types spectraux (d’étoiles de type solaire à des naines blanches, en passant par des naines M).

D’un autre côté, des compagnons massifs, pas ou beaucoup moins lumineux que l’étoile primaire, ont aussi été découverts. De nombreux systèmes comme Sirius, où une étoile normale est accompagnée d’une naine blanche très peu brillante ont été observés. Ce compagnon a évolué plus rapidement que l’étoile primaire et a déjà atteint l’un des stades ultimes de l’évolution stellaire. Des cas intermédiaires, comme des pré-naines blanches, ont également été découverts en combinant photométrie et spectroscopie. Enfin, des compagnons encore plus massifs peuvent également être présents dans les données Gaia, l’étoile secondaire étant plus massive que l’étoile primaire : plusieurs systèmes pourraient contenir une étoile à neutrons ou un trou noir dormant (qui n’émet pas de rayons X car il n’y a pas d’accrétion de matière).

Figure 9 : Gaia DR3 513602552152793907, période de 546 jours, masse de la primaire : 1,2 masses solaires, masse de la secondaire : 1,5 masses solaires. Secondaire : étoile à neutron suspectée.
A gauche, Orbite astrométrique (en rouge). Modèle : points gris. Foyer de l’orbite : croix rouge. Position du périastre : carré gris.
A droite, Courbe de vitesse radiale en fonction de la phase. En rouge : tracè d’après les mesures astrométriques. En bleu, d’après les mesures spectroscopiques. Carré vert : mesure au sol (Spectrographe Sophie à l’OHP).
© ESA/Gaia/DPAC, Gaia Collaboration, Arenou, F., et al. 2022, Figure 43

Adapté

Article scientifique