Le passé agité de notre Galaxie
26/11/2019. Les collisions entre galaxies sont un phénomène relativement courant, que l’on observe facilement dans les galaxies lointaines. La Figure 1 en montre un exemple, observé par le télescope Hubble : deux galaxies spirales sont en cours de collision. L’attraction exercée par NGC 2207 (la plus grosse des deux galaxies) produit de grosses déformations de IC 2163, mélangeant étoiles et gaz des deux galaxies et en projetant aussi le long de courants s’étendant jusqu’à des dizaines de milliers d’années-lumière. Cette collision aboutira, dans quelques milliards d’années, à la formation d’une seule et unique galaxie portant la trace des différentes populations d’étoiles de chacune des protagonistes. Les déformations et courants dépendent des tailles, formes et vitesses des deux galaxies ainsi que de la position de l’impact par rapport à chacune des galaxies. Ce type d’évènement est typique de la formation et de l’évolution des galaxies.
Notre Galaxie, la Voie Lactée, ne fait pas exception : elle a subi, est encore en train de subir, et subira dans le futur, de telles collisions. Chaque collision laisse des traces : les étoiles capturées (accrétées) vont se mélanger aux étoiles natives tout en conservant un certain nombre de caractéristiques de leur galaxie d’origine. Les positions (en 3D), mouvements (dans le plan galactique et perpendiculairement à celui-ci), orbites dans la Galaxie, et composition chimique des étoiles accrétées sont différents (un peu ou beaucoup) de celles des étoiles déjà présentes dans notre Galaxie. La difficulté est que notre Soleil (et nous, observateurs, avec) est immergé dans le plan de la Voie Lactée et que, pour discerner les traces de ces évènements, il faut pouvoir analyser en détail de très grandes quantités de données. Le deuxième catalogue Gaia (Gaia DR2), même s’il ne porte encore que sur l’analyse des 22 premiers mois de la phase opérationnelle de Gaia, apporte une quantité de données sans précédent et d’extraordinaire précision : pour plus de 7 millions d’étoiles, les positions et vitesses en 3D sont disponibles. Mieux comprendre la formation et l’évolution de notre Galaxie était d’ailleurs l’une des motivations majeures ayant conduit à la conception de la mission Gaia et à son adoption par l’Agence Spatiale Européenne en octobre 2002.
Figure 1, à gauche : Image de deux galaxies spirales semblables à notre Galaxie, NGC 2207 (la plus grosse) et IC 2163, dont la collision est en cours. © NASA/ESA and The Hubble Heritage Team (STScI).
Figure 2, à droite : Carte des parties centrales de notre Galaxie tracée à partir du deuxième catalogue Gaia, Gaia DR2, avec les deux Nuages de Magellan (LMC = Large Magellanic Cloud et SMC = Small Magellanic Cloud), ainsi que la galaxie naine du Sagittaire.
Oscillations dans le disque galactique
Le premier exemple, découvert il y a déjà plusieurs années, est la collision avec la galaxie naine du Sagittaire. Celle-ci est visible sur la Figure 2 ci-dessus. Cette figure est un détail de la carte en densité de toutes les étoiles du catalogue Gaia DR2. La galaxie naine du Sagittaire est la bande verticale plus brillante que le reste du halo de notre Galaxie située au-dessous du plan galactique et proche de son centre. Les données de Gaia ont permis la découverte de perturbations observées dans les vitesses perpendiculaires au plan galactique. L’analyse de la distribution des trois composantes des vitesses de ces étoiles (vers le Centre Galactique, selon la rotation galactique et perpendiculairement au plan galactique) en fonction de leur position au-dessus ou en-dessous du plan galactique et de leur vitesse perpendiculaire au plan galactique montre des sous-structures jamais observées auparavant. Ces sous-structures, montrant une oscillation dans le plan galactique sont illustrées sur la Figure 3. Elles pourraient avoir été créées par une perturbation du disque galactique survenue il y a 300 à 900 millions d’années et correspondre au dernier passage de la Galaxie naine du Sagittaire au bord du disque de notre Galaxie (Antoja et al. 2018).
Figure 3a, à gauche : Vue d’artiste des perturbations observées par Gaia dans les vitesses d’étoiles du disque de notre Galaxie. © ESA, CC BY-SA 3.0 IGO, Antoja et al. 2018.
Figure 3b, à droite : Schéma des oscillations observées dans le disque galactique. © Bland-Hawthorn, 2019.
Une autre interprétation, illustrée sur la Figure 4, est que ces oscillations verticales pourraient avoir été provoquées par la formation de la barre présente au centre de notre Galaxie. Des simulations numériques ont permis de mettre en évidence la propagation de telles perturbations dans le disque galactique pendant des milliards d’années (Khoperskov et al. 2018). Seule, l’extraordinaire précision des données de Gaia a permis de les détecter. D’autres études seront nécessaires pour évaluer l’importance relative de ces deux scénarios.
Figure 4 : Spirales révélées par Gaia dans le plan vitesse perpendiculaire au plan galactique (VZ)-hauteur au-dessus du plan galactique (Z) (à gauche), et détectées dans la simulation (à droite). Dans les deux panneaux, la couleur indique la vitesse azimutale moyenne (vitesse de rotation autour du centre galactique). La similitude entre observations Gaia et simulations est remarquable. © Khoperskov et al. 2019.
Ces analyses confirment aussi les premières conclusions tirées de la cinématique du disque galactique : l’hypothèse simplificatrice d’un disque galactique en équilibre indépendant du temps et symétrique par rapport au plan galactique, utilisée dans les études dynamiques de notre Galaxie, est définitivement à revoir.
Collision entre notre Galaxie et une galaxie naine
Le deuxième exemple porte sur la découverte des restes d’une collision entre notre Galaxie et une galaxie naine. L’analyse du diagramme de Hertzsprung-Russell, montre, pour les étoiles avec les plus grandes vitesses (Figure 4c), essentiellement des étoiles du halo, qu’il existe deux séquences principales distinctes, conduisant à penser à l’existence de deux sous-populations d’étoiles issues de différents scénarios de formation (Gaia Collaboration, Babusiaux et al. 2018). Déjà de premiers travaux, effectués avec les données de Gaia DR1, suspectaient la présence de restes d’une ancienne collision avec notre Galaxie (Belokurov et al. 2018). Plusieurs études ultérieures (Haywood et al. 2018 ; Helmi et al. 2018 ; Di Matteo et al. 2019, Mueong et al 2018) ont confirmé et précisé les effets et les caractéristiques de cette collision entre notre Galaxie et une galaxie naine : elle a, d’une part, dispersé les étoiles de cette dernière et, d’autre part, perturbé les mouvements des étoiles de notre propre Galaxie. Les différents travaux ont permis d’identifier ces étoiles venant de l’extérieur par différents aspects qui les différencient des étoiles de notre Galaxie : mouvements et orbites différentes, composition chimiques différentes.
La Figure 5 montre comment se placent ces différentes sortes d’étoiles dans un diagramme HR. La séquence bleue est essentiellement formée d’étoiles accrétées de la galaxie naine. La séquence rouge, au contraire, est dominée par des étoiles du disque épais de notre Galaxie, en partie chauffées par la collision (leurs vitesses ont été perturbées par la collision et montrent une plus grande dispersion). Sur le ciel, la séparation entre étoiles accrétées et étoiles natives n’est pas possible : vues de notre point d’observation (proche du Soleil !), les étoiles accrétées sont dispersées sur toute la sphère céleste, comme montré sur la Figure 6.
La conclusion de ces différentes études est que la galaxie qui est entrée en collision avec la nôtre, appelée Sausage ou Enceladus selon les auteurs, avait, avant collision, une masse d’environ 5x1010 masses solaires, comparable à celle de la galaxie du Sagittaire. La collision aurait eu lieu il y a environ 10 Gyr (milliards d’années). Les étoiles accrétées à la suite de la collision forment l’essentiel de la partie centrale du halo de notre Galaxie, avec des orbites très allongées et, majoritairement, des mouvements de rotation rétrogrades autour du centre de notre Galaxie (elles tournent en sens inverse de la majorité des étoiles du disque). Elles ont aussi des compositions chimiques différentes de celles des étoiles de notre Galaxie, avec des contenus en Fer (métallicités) plus faibles. La signature de cette accrétion est également visible sous la forme d’une plume dans le champ des vitesses des vieilles étoiles du disque galactique (Di Matteo et al, 2019) qui permet de préciser l’époque de la collision (entre 9 et 11milliards d’années) et de comprendre l’origine des étoiles du halo de notre Galaxie.
Figure 5, à gauche : Diagramme HR montrant les deux séquences formées à partir d’étoiles de Gaia DR2 ayant des données de vitesse en 3D. La séquence bleue (à gauche de la ligne noire représentant la position théorique des étoiles d’âge 11.5 milliards d’années) est essentiellement formée d’étoiles accrétées de la galaxie naine. La séquence rouge (à droite) est dominée par des étoiles du disque épais de notre Galaxie. © Haywood et al. 2018.
Figure 6, à droite : Position des étoiles accrétées sur la Galaxie : carte en longitude et latitude galactique avec une échelle de couleur en fonction de la distance au Soleil (proches : rouge foncé ; lointaines : jaune). Les symboles en étoile sont des étoiles variables RR Lyrae possiblement issues de l’accrétion, de même que les amas globulaires indiqués par des numéros. © Helmi et al. 2018.
Références :
Antoja et al. 2018, Nature 561, p360
Belokurov et al. 2018, MNRAS 478 p611
Di Matteo et al. 2019, A&A 632, A4
Gaia Collaboration, Babusiaux et al. 2018, A&A 616 A10
Haywood et al. 2018, ApJ 863 p113
Helmi et al. 2018, Nature 563 p85
Khoperskov et al. 2019, A&A 622, L6.
Pour plus de détails, voir :
https://www.obspm.fr/la-voie-lactee-chamboulee-par.html
https://www.obspm.fr/l-echo-de-la-formation-de-la.html
https://www.obspm.fr/le-mystere-de-l-origine-du.html
et, en anglais :
https://sci.esa.int/web/gaia/-/60663-gaia-hints-at-our-galaxys-turbulent-life
https://sci.esa.int/web/gaia/-/60892-galactic-ghosts-gaia-uncovers-major-event-in-the-formation-of-the-milky-way