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Le voisinage solaire

22/09/2021. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il aura fallu attendre le début du 21ème siècle et les mesures de Gaia pour enfin mieux connaître le voisinage très proche du Soleil. Pourtant, son étude a commencé depuis longtemps : dès la première mesure de parallaxe trigonométrique c’était déjà l’objectif de F.W. Bessel en 1838. Le premier catalogue recensant les étoiles plus proches que 10 pc a été publié par Louise F. Jenkins en 1937. Il comprenait 127 étoiles et leurs compagnons, et L.F. Jenkins ajoutait : « il semble probable que nous ne connaissons actuellement qu’environ un quart des étoiles plus proches que 10 pc autour du Soleil ». Vingt ans après, le comptage des étoiles proches a été étendu à 20 pc par Wilhelm Gliese, avec la publication, en 1957 du « Catalogue of Nearby Stars, CNS », contenant 915 étoiles. Ces travaux se sont poursuivis pour aboutir à la troisième version de ce catalogue, CNS3 (Gliese et Jahreiss, 1991), contenant 3803 étoiles plus proches que 25 pc et dont les distances provenaient, pour les plus précises, du premier grand catalogue de parallaxes trigonométriques mesurées au sol par divers observatoires (The General Catalogue of Trigonometric Stellar Parallaxes, van Altena, Lee, Hoffleit, 1995). Cependant, ces parallaxes trigonométriques étaient, majoritairement, peu précises et entachées d’erreurs très variables d’un observatoire à l’autre.

Il a fallu attendre la première mission d’astrométrie spatiale, Hipparcos, et ses parallaxes très précises publiées en 1997, pour réaliser que quelque 40% des étoiles du catalogue CNS3 étaient, en fait, plus lointaines que 25 pc. Pire, la comparaison entre les distances Hipparcos et les estimations de distance basées sur le type spectral et le diagramme de Hertzsprung-Russell (diagramme HR) montraient que près de la moitié des étoiles estimées être à moins de 80 pc étaient plus - ou beaucoup plus - lointaines.

Gaia permet des mesures de parallaxes beaucoup plus précises qu’Hipparcos et pour beaucoup plus d’étoiles : le programme d’observation d’Hipparcos avait dû être choisi à l’avance, en tenant compte de la limite en magnitude (12) et de la distribution sur le ciel (pas plus de trois étoiles par degré carré). Gaia est la première mission permettant une observation systématique du voisinage solaire et ce, jusqu’à la magnitude 21. Déjà, avec Gaia DR2, les diagrammes HR des étoiles plus proches que 25, 50 et 100 pc avaient donné un avant-goût de la qualité des données Gaia.

La première partie du troisième catalogue Gaia, Gaia EDR3, avec ses mesures astrométriques encore plus précises permet d’affiner notre connaissance du voisinage proche du Soleil. Comparé à l’ensemble de la Voie Lactée, de diamètre environ 30 000 pc, cette bulle de 100 pc est minuscule mais cette limite a été choisie car elle correspond à la distance maximum à laquelle Gaia peut observer toutes les étoiles, même les moins lumineuses, et ainsi obtenir un recensement complet.

Figure 1 : Comparaison du Catalogue Gaia des étoiles proches (GCNS) avec les compilations précédentes : nombre d’étoiles avec des parallaxes trigonométriques précises situées à moins de 10, 25 et 100 pc du Soleil. Les différentes couleurs permettent de distinguer les mesures sol, Hipparcos et Gaia. L’aire des cercles est proportionnelle au nombre d’étoiles. Les cercles se chevauchent lorsque les étoiles apparaissent dans deux ou dans les trois catalogues. © ESA/Gaia/DPAC - CC BY-SA 3.0 IGO, S. Anderson, C. Reylé

Cette étude, illustrée par la Figure 1, a permis de réaliser que, avant Gaia, on ne connaissait qu’à peine 10% des étoiles plus proches que 100 pc du Soleil ... et que parmi ces 10%, la majorité avaient été mesurées par Hipparcos. Le Catalogue Gaia des étoiles proches (GCNS) recense, dans les limites en magnitude de Gaia EDR3 (G entre 3 et 21), 5423 étoiles plus proches que 25 pc, soit une augmentation par un facteur d’environ 2, et plus de 300 000 étoiles plus proches que 100 pc. La distribution en distance des étoiles du GCNS et de ses prédécesseurs est montrée sur la Figure 2. Par ailleurs, le GCNS contient des milliers d’étoiles faibles (naines blanches et étoiles de faible masse) qui n’avaient pas de mesure de parallaxe dans Gaia DR2. Par exemple, la Figure 3 montre, en rouge, les nouvelles candidates "naines ultra-froides" (Ultra Cool Dwarfs). Ces étoiles sont importantes car elles sont les produits les plus froids, les moins massifs et les plus faibles du processus de formation d’étoiles.

Figure 2 (à gauche) : Comparaison entre les distributions en distance des étoiles du GCNS, et des recensements précédents : CNS3 (indiqué ici CNS) en gris, Hipparcos, et autres programmes (interrogation de la base de données SIMBAD). © ESA Gaia/DPAC, Gaia Collaboration, Smart et al., A&A 649, A6, 2021, Figure 10.
Figure 3 (à droite) : Distribution en distance des étoiles naines ultra-froides (UCDs=Ultra Cool Dwarfs) déjà connues dans Gaia DR2 (en bleu) et des 2879 nouvelles candidates identifiées dans Gaia EDR3 (en rouge). © ESA Gaia/DPAC, Gaia Collaboration, Smart et al., A&A 649, A6, 2021, Figure 24
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Dans Gaia EDR3, non seulement les parallaxes, mais aussi des mouvements propres très précis sont disponibles, ainsi que les vitesses radiales (vitesses sur la ligne de visée) pour une partie des étoiles. Parmi celles-ci, 74 281 sont plus proches que 100 pc. Leurs orbites dans la Galaxie ont pu être calculées et sont représentées sur la vidéo ci-dessous, superposées à une vue d’artiste de la Galaxie. Le champ de vue est d’environ 30 kpc (100 000 années lumière) et les mouvements sont montrés sur un intervalle de temps de 500 millions d’années.

Orbites de 74 281 étoiles du catalogue GCNS, étoiles plus proches que 100 pc du Soleil dans Gaia EDR3, comparées à l’ensemble de notre Galaxie, la Voie Lactée, d’un diamètre d’environ 30 kpc . ©ESA/Gaia/DPAC - CC BY-SA 3.0 IGO.

 

Enfin, bien que représentant un progrès majeur dans la connaissance du voisinage du Soleil, cette version du GCNS n’est encore pas complète : il y manque quelques pourcents d’objets très brillants ou très faibles (par exemple environ 5% d’étoiles de type spectral M8) et de compagnons non résolus. Une compilation très complète des astres plus proches que 10 pc à partir de Gaia EDR3 et de la littérature, a permis d’établir un nouveau catalogue de tous les objets plus proches du Soleil que 10 pc (Reylé et al., 2021). Il contient 541 objets dans 339 systèmes : 373 étoiles de types F à L, 20 naines blanches, 86 naines brunes, et 77 exoplanètes. Les Figures 3 et 4 montrent le diagramme HR de ces étoiles ainsi que leur distribution en type spectral et la distinction entre les étoiles simples et les composantes de systèmes doubles ou multiples. L’avantage de cette limite de 10 pc, c’est que l’on espère pouvoir y observer tous les objets les plus faibles et ainsi déterminer un paramètre essentiel des mécanismes de formation d’étoiles : la masse minimum à laquelle une étoile peut se former. Par contre, ce volume est petit et les étoiles les plus rares n’y sont pas représentées : haut de la séquence principale, géantes, de nombreux types d’étoiles variables, etc. Ce catalogue sera complété par les futures versions du catalogue Gaia et permettra aussi de les valider.

Figure 3 (à gauche) : Diagramme HR des objets plus proches que 10 pc. L’échelle de couleur indique le type spectral. Les points bleu-foncé représentent les naines blanches. Les petits points gris en arrière-plan sont les étoiles du GCNS. © ESA Gaia/DPAC, Reylé et al., A&A 650, A201, 2021, Figure 1
Figure 4 (à droite) : Distribution de cet échantillon en types spectraux. D = naines blanches. Les différents symboles indiquent les étoiles simples et les composantes primaires et secondaires des systèmes doubles ou multiples. © ESA Gaia/DPAC, Reylé et al., A&A 650, A201, 2021, Figure 2
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Remarque : l’estimation de Louise F. Jenkins en 1937 est remarquablement proche du nombre d’étoiles du catalogue d’étoiles plus proches que 10 pc, compilé par Céline Reylé et collaborateurs et publié en 2021 !

 

Références :