Plongée dans les Nuages de Magellan
18/02/2021. Les Nuages de Magellan sont deux galaxies naines très proches de notre Galaxie, la Voie lactée. Depuis l’hémisphère Sud, ils sont très visibles, à l’œil nu, comme deux taches laiteuses. Avec un petit télescope on en distingue les étoiles et Gaia, avec ses deux miroirs de 1,49x0,54m, en a observé une multitude et mesuré leurs déplacements sur le ciel avec une très grande précision. La Figure 1 montre la partie centrale de la Galaxie ainsi que les deux Nuages de Magellan, le Grand Nuage (LMC =Large Magellanic Cloud) et le Petit Nuage (SMC = Small Magellaniic Cloud), reconstitués à partir des mesures de positions et de luminosité des étoiles de la première partie du catalogue Gaia EDR3, publié le 3 décembre 2020. Le LMC est une galaxie spirale en forme de disque avec une barre très marquée. Le SMC est une galaxie irrégulière.
Environ 13 millions d’étoiles des deux Nuages de Magellan et du pont qui les relie sont incluses dans Gaia EDR3, avec des mesures photométriques et astrométriques nettement plus précises que dans les catalogues précédents. Les erreurs systématiques, en particulier, ont été nettement réduites. Cela permet de distinguer clairement les étoiles des Nuages de celles de notre Galaxie qui se trouvent sur la même ligne de visée et d’étudier en détail les différentes populations d’étoiles qui y sont présentes. La Figure 2 montre plus en détail les zones considérées dans cette étude.
Figure 1 (à gauche) : Étoiles observées par Gaia dans la partie centrale de notre Galaxie et les deux Nuages de Magellan. Les positions et luminosités utilisées pour former cette « image » sont celles de la première partie du catalogue Gaia EDR3. ©ESA/Gaia/DPAC, A. Moitinho.
Figure 2 (à droite) : Zone du ciel étudiée autour des deux Nuages de Magellan : deux aires circulaires de 40 et 22° de diamètre, centrées sur α=5h 25min 7.2s, δ=-69° 46’ 48" pour le LMC et α=0h 51min 12s, δ=-73° 09’ pour le SMC. © Gaia Collaboration, X. Luri, et al. 2020 A&A
Remarque : attention à la différence d’orientation de ces deux figures.
Avec des distances de 49,5kpc pour le LMC et 62,8kpc pour le SMC, les Nuages de Magellan sont parmi les quelques galaxies très proches de la nôtre. Cependant, ces distances sont déjà un défi pour les mesures astrométriques de Gaia car à la limite de ses possibilités, en particulier pour la mesure des parallaxes (de l’ordre de 0.02mas pour le LMC). Elles sont aussi une opportunité pour évaluer la qualité et les propriétés de ces données. Pour la première fois, les mouvements propres de Gaia EDR3 permettent de mettre en évidence les mouvements d’ensemble des deux Nuages mais aussi les mouvements aléatoires de chacune de leurs étoiles. En particulier, on peut étudier la rotation du Grand Nuage de Magellan, sur l’intégralité de cette petite galaxie spirale, et même en distinguant les différentes populations d’étoiles : des étoiles jeunes et des étoiles plus évoluées (les étoiles du red clump, le grumeau où se regroupe une bonne partie des étoiles géantes rouges).
La Figure 3 est une illustration des champs de vitesse sur le ciel, les mouvements propres de Gaia EDR3, pour les deux Nuages de Magellan. La direction des traits indique la direction des mouvements propres et plus ils sont brillants, plus la densité en étoiles est grande. On voit clairement la rotation du LMC alors que les mouvements dans le SMC sont plus désordonnés. On y remarque cependant, dans la moitié gauche de l’illustration, un mouvement d’ensemble des étoiles du Petit Nuage de Magellan (en haut à droite) vers le Grand Nuage (vers le bas à gauche). Ceci est causé par l’interaction gravitationnelle entre les deux galaxies, qui voit le Petit Nuage être peu à peu détruit par le Grand Nuage. En d’autres termes, le plus grand des Nuages capture des étoiles du plus petit ! Par ailleurs, une étude plus détaillée montre que les étoiles les plus jeunes ont des mouvements d’ensemble plus rapides que les étoiles plus évoluées alors que les mouvements aléatoires de ces dernières sont plus élevés. C’est la première fois que l’on peut observer, et précisément mesurer, la rotation d’une galaxie spirale en l’observant de l’extérieur.
Figure 3 : Illustration des champs de vitesses sur le ciel du LMC (à gauche) et du SMC (à droite). © Gaia Collaboration, X. Luri, et al. A&A 2020. Images créées par Paul McMillan (Université de Lund).
Enfin, la qualité des données de Gaia EDR3 permet de mettre directement en évidence les mouvements, aussi bien des étoiles jeunes que des plus anciennes, du Petit Nuage de Magellan vers le Grand, illustrant l’interaction gravitationnelle entre les deux Nuages. Ce pont est bien visible sur les Figures 4 et 5.
Figure 4 (à gauche) : Vecteurs vitesse des mouvements propres des étoiles du pont entre les deux Nuages de Magellan. Ici, les étoiles jeunes. © Gaia Collaboration, X. Luri, et al. A&A 2020.
Figure 5 (à droite) : Illustration de ce courant d’étoiles entre les deux Nuages. ©ESA/Gaia/DPAC- CC BY-SA 3.0 IGO, Images créées par L. Chemin à partir des données de Gaia Collaboration, X. Luri, et al. A&A 2020.
Voir aussi
- La présentation de Laurent Chemin le 3 décembre ;
- Plus de détails (en anglais) sur le site de Gaia à l’ESA : A dive into the Magellanic Clouds
- L’article de référence : Gaia Early Data Release 3 : Structure and properties of the Magellanic Clouds, Gaia Collaboration, X. Luri, et al. A&A 649, A7, 2021.