Gaia et la Croix d’Einstein
18/06/2015. 2015 a été proclamée Année internationale de la Lumière en l’honneur du centième anniversaire de la théorie d’Einstein sur la relativité générale. Grâce à la précision de ses mesures astrométriques, Gaia va permettre de tester les minuscules déviations des rayons lumineux prédites par la relativité générale dans notre système solaire avec une précision sans précédent. Mais Gaia va aussi mettre en évidence un autre effet de la relativité générale, les lentilles gravitationnelles. Les deux images ci-dessous en montrent deux exemples remarquables : la Croix d’Einstein, découverte en 1985 (quasar Q2237 + 030), et HE0435-1223, découverte en 2002. Les observations de Gaia (points noirs) sont superposées à des images obtenues avec le HST.
Crédit : ESA/Gaia/DPAC/Christine Ducourant, Jean-Francois Lecampion (LAB/Observatoire de Bordeaux), Alberto Krone-Martins (SIM/Universidade de Lisboa, LAB/Observatoire de Bordeaux), Laurent Galluccio, Francois Mignard (Observatoire de la Côte d’Azur, Nice)
La théorie de la relativité générale d’Einstein avait prédit qu’un rayon lumineux passant dans le champ de gravitation d’un astre très massif tel le Soleil serait (très faiblement) dévié : au voisinage du Soleil, la lumière suit la courbure du champ gravitationnel en allant "au plus court", puis elle reprend sa course en ligne droite. Cet effet a été confirmé par l’observation d’étoiles très proches du Soleil lors de l’éclipse du 29 mai 1919. Gaia va permettre de mesurer cet effet non seulement autour du Soleil, où il se monte à 1,75 seconde de degré au ras du Soleil, mais aussi autour de toutes les planètes du système Solaire. La déviation est de 16 millisecondes de degré (mas) au ras de Jupiter, de 6 mas au ras de Saturne, ou encore de 2 mas au ras d’Uranus. Ces angles sont mesurables sans problème à la précision astrométrique de Gaia. Le même effet produit aussi des mirages gravitationnels (ou lentilles gravitationnelles) : si l’on observe un quasar qui se trouve presque exactement sur la même ligne de visée qu’une galaxie très massive ou qu’un amas de galaxies très massif, on verra plusieurs images "fantômes" du quasar ou même des arcs ou un anneau lumineux. Ces phénomènes sont illustrés par les deux schémas ci-dessous.
Le système de détection de Gaia a permis plusieurs observations des quatre images des deux quasars lointains, Q2237+030 et HE0435-1223, ainsi que de la lentille centrale de la Croix d’Einstein. Les positions de chacune des sources ont été obtenues par le traitement automatique des données Gaia (Gaia Initial Data Treatment - IDT). Les magnitudes des sources varient de 17 à 19 et la précision astrométrique de ces positions préliminaires est de l’ordre de 100 mas. Cette précision sera grandement améliorée par l’analyse astrométrique globale qui prendra simultanément en compte les paramètres astrométriques des sources et l’attitude du satellite.
Dans les deux cas, les quatre images de chacun des quasars ont été observées comme des sources indépendantes, à chacun de leurs passages dans les champs de vue (FOV) de Gaia. Elles sont groupées dans des carrés d’environ deux secondes de degré de côté. Le noyau de la galaxie qui provoque l’effet de lentille gravitationnelle au centre de la Croix d’Einstein a été mesurée comme si elle était une étoile, alors que celle de HE0435-1223, trop faible, n’a pas été détectée.
Dans ces deux systèmes, la source de lumière est un quasar lointain, galaxie très compacte située à une distance d’environ 10 milliards d’années lumière (z = 1,7) tandis que la galaxie lentille est beaucoup plus proche de nous, à plusieurs 100 Mpc (quelques centaines de millions d’années-lumière). Le quasar, la galaxie et l’observateur sont presque parfaitement alignés (avec une erreur de moins de 50 mas), faisant passer la lumière émise par le quasar à travers le bulbe de la galaxie. Le bulbe, très dense, courbe les rayons lumineux provenant du quasar, et produit ainsi les quatre images observées depuis la Terre.
En utilisant les coordonnées des quasars, l’orbite de Gaia, et l’attitude nominale du satellite, il a été possible de prédire avec une bonne précision (à moins de 0,5 s) les heures de passage à travers les champs Gaia, puis de localiser les observations pertinentes parmi les 40 millions d’observations similaires acquises par Gaia sur une journée moyenne. Le traitement de données automatique initial (IDT) développé par une équipe du DPAC à Barcelone (et fonctionnant à l’ESAC) produit chaque jour des données astrométriques et photométriques préliminaires pour toutes les sources détectées à bord. Ces positions, obtenues sur plusieurs mois, sont superposées aux images HST. Elles sont très cohérentes avec celles-ci. La combinaison de ces mesures conduit déjà à une précision d’environ 50 mas pour la Croix d’Einstein et mieux pour HE0435-1223. D’ici la fin de 2015, il y aura neuf nouvelles observations de Q2237 + 030 (la Croix d’Einstein) et 16 pour HE0435-1223.
Ces observations prouvent que le système de détection à bord fonctionne très bien, permet de distinguer des sources ponctuelles faibles à moins d’une seconde d’arc l’une de l’autre et d’effectuer des mesures de position indépendantes avec une précision nominale.
Gaia va observer la plupart des quelque 100 lentilles multiples connues et en découvrir bien d’autres autour de quasars connus ou nouvellement découverts.
Voir Gaia image of the week du 9 avril 2015.
Dernière modification : 18 juin 2015.