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La Science avec Gaia, Lund

04/09/2017. La semaine dernière, du 30 août au 1er septembre 2017, se tenait à Lund, Suède, une réunion sur "La science avec Gaia et les défis futurs" (The science of Gaia and future challenges). Environ 100 scientifiques se sont réunis en l’honneur de Lennart Lindegren et de son départ à la retraite. Lennart Lindegren, Docteur Honoris Causa de l’Observatoire de Paris, a été l’un des principaux acteurs de la solution astrométrique d’Hipparcos, responsable de l’un des deux Consortia de traitement des données (NDAC Consortium), l’un des premiers à proposer le concept de Gaia à l’Agence Spatiale Européenne, et l’un des artisans majeurs de nombreux aspects de la mission. En particulier, il dirige l’implémentation scientifique de la Solution Itérative Globale Astrométrique, élément central et crucial du traitement astrométrique des données Gaia.

Les présentations sont maintenant disponibles en ligne, ici.

Interview de Lennart Lindegren, menée par Stefan Jordan (ARI, Heidelberg), à l’occasion de l’ouverture de cette réunion (en anglais ici).

Lennart, cette réunion scientifique de trois jours à Lund pour marquer ton départ en retraite s’intitule « La science avec Gaia et les défis à venir ». Avant d’en venir à la science actuelle avec Gaia et à l’avenir, peux-tu nous dire pourquoi une mission comme Gaia est si importante pour l’astronomie ?

Lennart Lindegren : Comme pour toute science, l’astronomie progresse par interactions entre la théorie et l’observation. Ces interactions peuvent prendre différentes formes. La première est que de meilleures observations produisent des données plus précises, ce qui permet aux astronomes de tester et d’améliorer leurs modèles théoriques. Par exemple, Gaia donnera des distances très précises pour des étoiles à différents stades de leur évolution. Cela permettra aux astronomes de calculer la production totale d’énergie dans ces étoiles et de la comparer aux prévisions théoriques. Cela conduira à terme à une meilleure compréhension des cycles de vie des étoiles.

Dans cet exemple, il pourrait être suffisant d’étudier quelques milliers d’étoiles bien choisies. Mais voici un autre aspect important de Gaia : comment savoir quelles étoiles sont les plus intéressantes à étudier ? Pour cela, nous devons d’abord examiner tous les candidats possibles, ce que Gaia fera systématiquement. En explorant tous les objets à portée de son télescope, Gaia fournit des données qui ne sont pas biaisées par nos idées préconçues sur ce qui est important ou ce qui ne l’est pas. Un troisième aspect important est que les astronomes trouveront dans les données de Gaia des cas inattendus, des découvertes qui mèneront à une compréhension plus profonde de l’Univers.

Tu étais déjà impliqué dans le prédécesseur de Gaia, HIPPARCOS, un satellite qui a mesuré la position, les mouvements et les distances de plus de 100 000 étoiles entre 1989 et 1993. Peux-tu nous dire quel était ton rôle dans cette mission ?

Lennart Lindegren : En 1976, alors que je faisais ma thèse de doctorat à Lund, je me suis impliqué dans HIPPARCOS grâce à Erik Høg à Copenhague, qui était alors mon superviseur de facto. Mon intérêt s’est immédiatement porté sur les défis de l’analyse des données pour la future mission, et sur les questions d’optimisation du satellite. A partir de 1980, lorsque HIPPARCOS a été approuvé par l’ESA, j’ai travaillé avec des collègues au Royaume-Uni et au Danemark sur les préparatifs du NDAC (Northern Data Analysis Consortium), l’un des trois consortiums d’analyse de données HIPPARCOS et, en 1990, j’ai pris la relève d’Erik en tant que responsable du NDAC.

Quel a été, selon toi, l’impact le plus important du catalogue HIPPARCOS sur l’astronomie ?

Lennart Lindegren : L’astronome hollandais Adriaan Blaauw a comparé HIPPARCOS à un aspirateur céleste géant. J’aime bien image : en un seul coup de balai, le catalogue a enlevé beaucoup de poussière et de toiles d’araignée qui s’étaient accumulées en astronomie depuis plus d’un siècle. J’entends par là les erreurs systématiques sur les positions, les mouvements et les parallaxes des étoiles qui, si elles n’avaient été corrigées grâce à HIPPARCOS, auraient empêché les astronomes de profiter pleinement des puissants nouveaux télescopes au sol entrés en service à peu près au même moment. L’aspirateur a laissé un terrain propre et solide pour d’autres progrès.

Quelle était ta motivation pour participer à une autre mission astrométrique après HIPPARCOS ?

Lennart Lindegren : HIPPARCOS était une expérience unique à l’époque. Personne n’avait jamais rien fait de semblable auparavant, et j’ai eu beaucoup de chance d’en faire partie. En même temps, nous avons réalisé que ce n’était peut-être que le début d’un développement beaucoup plus ambitieux. Plusieurs d’entre nous voulaient explorer ces possibilités et s’assurer que HIPPARCOS ne resterait pas une singularité. Comme toujours, j’ai probablement été plus motivé par les défis techniques et méthodologiques de cette mission future que par les défis scientifiques qu’elle pouvait engendrer.

À peine HIPPARCOS avait-il terminé ses mesures que toi et tes collègues avez fait les premières propositions pour une nouvelle mission. Peux-tu nous expliquer quelles étaient vos idées et comment celles-ci se comparent au Gaia en opération actuellement ?

Lennart Lindegren : Au début des années 1990, alors que HIPPARCOS envoyait encore des données au sol, les caméras numériques (détecteurs CCD) étaient déjà utilisées dans le télescope spatial Hubble et, au sol, elles révolutionnaient la façon dont les astronomes utilisaient leurs télescopes. HIPPARCOS en revanche, était encore basé sur une technologie de photomultiplicateur à l’ancienne, conçue dix ans plus tôt alors que les capteurs CCD n’étaient tout simplement pas assez bons pour être envoyés dans l’espace. Bien que les photomultiplicateurs aient fait du bon travail pour HIPPARCOS, ils sont beaucoup moins efficaces que les CCD et ne peuvent observer qu’une seule étoile à la fois.

Ainsi, vers 1993, il était clair qu’on pouvait faire beaucoup mieux que HIPPARCOS en remplaçant simplement les anciens détecteurs par les dernières technologies. Mais pour vraiment augmenter la précision, il fallait aussi avoir un télescope nettement plus grand. L’une des erreurs que nous avons commises à l’époque était de penser qu’une façon peu coûteuse d’augmenter la taille du télescope consistait à n’utiliser que les parties extérieures du miroir du télescope dans un interféromètre dit Fizeau. D’où le nom original GAIA, un acronyme pour « Global Astrometric Interferometer for Astrophysics ». Le concept prévoyait même deux interféromètres de ce type, reliés entre eux dans une structure extrêmement stable. Rétrospectivement, cela semble terriblement compliqué et ne fonctionnerait probablement pas.

Heureusement, une configuration beaucoup plus simple a été adoptée. La mission s’appelle toujours Gaia, mais comme il ne s’agit plus d’un interféromètre, le nom n’est pas écrit en majuscules. La conception originale (interférométrique) visait à mesurer environ 50 millions d’étoiles parmi les plus brillantes, tandis que la Gaia actuelle observe des objets cent fois plus faibles, mesurant 20 à 30 fois plus d’étoiles. La précision attendue, environ 20 microsecondes de degré à la magnitude 15, est la même que dans la proposition initiale. J’ajouterais que Gaia n’aurait pas été possible sans les progrès de l’informatique depuis l’époque d’HIPPARCOS. Le traitement des données à bord et l’analyse des données au sol auraient été tout à fait impossibles avec les ordinateurs des années 1980.

Tu es le père de la méthode utilisée pour déterminer les positions des objets, les mouvements et les parallaxes (mesures de distance) à partir des mesures individuelles du satellite Gaia. Peux-tu nous expliquer de manière simple comment fonctionne la Solution Itérative Globale Astrométrique, AGIS ?

Lennart Lindegren : L’idée est de construire tout d’abord un réseau d’environ dix millions d’étoiles, couvrant toute la sphère céleste. Nous les appelons les « sources primaires ». A la fin, toutes les étoiles, astéroïdes et galaxies observés par Gaia sont reliés à ce réseau. À tout moment, l’appareil photo numérique de Gaia « verra » une petite partie du ciel, contenant quelques centaines de sources primaires, et leur emplacement dans le cadre de la caméra peut être déterminé.

Pour construire le réseau, toutes les positions mesurées pour les sources primaires doivent être combinées dans l’ordinateur. Le problème est que ces positions sont mesurées dans le repère de référence de la caméra et, pour les traduire en positions sur le ciel, il faut connaître à tout moment le pointage exact de la caméra, la disposition géométrique des détecteurs, les distorsions optiques, etc. Mathématiquement parlant, nous avons un modèle des observations avec beaucoup d’inconnues, ou de paramètres, décrivant non seulement les sources primaires – leurs positions, leurs parallaxes, et les mouvements propres – mais aussi les pointages de caméra, les distorsions, etc.

La Solution Itérative Globale Astrométrique est un moyen de trouver la combinaison de tous les paramètres qui explique le mieux les observations des sources primaires. En termes très simples, on peut penser qu’il s’agit d’assembler un gigantesque puzzle qui recouvre toute la surface d’un globe – la sphère céleste. Les pièces sont les observations individuelles, et elles doivent s’emboîter les unes dans les autres pour couvrir exactement le globe entier. Pour tenir compte de la distorsion de la caméra et d’autres effets de calibration, il faudra peut-être ajuster la taille et la forme des pièces, mais il n’y a qu’une seule façon de le faire qui conviendra partout.

Ceci explique pourquoi AGIS est « Global ». C’est aussi « itératif », ce qui signifie que les ajustements ne sont pas faits en une seule fois, mais par petits pas ou itérations. A chaque itération, l’ajustement s’améliore un peu, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’amélioration après environ 100 itérations. Nous avons alors la solution primaire souhaitée. Lier les observations des autres sources à ce réseau est alors simplement une question d’appliquer les pointages et les calibrations de la caméra tels que déterminés dans la solution primaire.

En septembre dernier, le premier catalogue Gaia a été publié. Ce premier catalogue Gaia (Gaia Data Release 1 ou Gaia DR1) contient non seulement des positions pour plus d’un milliard d’étoiles de notre Voie Lactée et au-delà, mais aussi plus de 2 millions d’étoiles pour lesquelles les mouvements et parallaxes ont pu être déterminés. Comment était-il possible de déterminer ces paramètres astrométriques importants en utilisant seulement environ 11 mois de données Gaia ?

Lennart Lindegren : Obtenir l’ensemble des paramètres astrométriques à partir d’une période de temps d’observation si courte est difficile car il faut un nombre minimum d’observations de chaque étoile pour faire fonctionner AGIS avec succès. Pour le catalogue final, nous disposerons d’au moins cinq ans de données, ce qui donne beaucoup plus d’observations par étoile que le minimum requis. Avec 11 mois, une solution est marginalement possible, mais elle n’aurait pas été très utile parce que les mouvements propres auraient été mal déterminés, ce qui aurait entraîné que les parallaxes n’auraient pas été bonnes non plus. Nous avons donc utilisé les 2 millions d’étoiles les plus brillantes comme sources primaires et nous avons combiné leurs positions avec celles qui avaient été déterminées vers 1991 par le satellite HIPPARCOS et publiées dans le catalogue Tycho-2.

La combinaison des anciennes positions HIPPARCOS avec les nouvelles données de Gaia a permis de déterminer avec précision les mouvements propres et les parallaxes de ces étoiles. Cette solution astrométrique, la Tycho-Gaia Astrometric Solution (TGAS), était cependant spécialement adaptée à la production du premier catalogue Gaia. Les versions futures seront basées exclusivement sur les données Gaia.

  • Lennart Lindegren avec Anthony Brown, le responsable du Consortium DPAC, chargé de l’analyse des données Gaia.

Tu es fortement impliqué dans la production du second catalogue Gaia, prévu pour avril 2018. Que peut-on attendre de ce deuxième catalogue et quels sont les principaux défis à relever ?

Lennart Lindegren : Le second catalogue, Gaia DR2, sera basé sur près de deux années complètes d’observations Gaia. Cela signifie qu’il n’est plus nécessaire d’avoir recours aux données d’HIPPARCOS, et que nous ne sommes pas limités aux deux millions d’étoiles les plus brillantes. Gaia DR2 donnera les positions, les parallaxes et les mouvements propres de plus d’un milliard d’étoiles, mais aussi les informations photométriques – magnitudes et couleurs – et dans de nombreux cas les vitesses radiales déterminées par spectroscopie.

Les futures versions seront encore beaucoup plus précises et contiendront encore beaucoup plus de types de données, mais la DR2 sera la première occasion pour la communauté de ressentir toute l’étendue du potentiel de Gaia. C’est un grand pas en avant par rapport à DR1.

Chaque nouvelle version apporte, et apportera, de nouveaux défis. Avec l’accumulation constante de données, les solutions AGIS s’améliorent sans cesse, ce qui augmente la demande en ordinateurs et en ressources humaines. Les solutions améliorées révèlent des détails nouveaux et subtils sur le comportement de l’instrument, qui doivent être analysés et compris, et intégrés dans les solutions futures. L’analyse est donc en constante évolution. C’est une tâche longue et difficile, mais fascinante.

Quelles nouvelles connaissances scientifiques peut-on attendre de Gaia DR2 ?

Lennart Lindegren : L’un des atouts de Gaia est que ses données vont être un apport fondamental à de très nombreux domaines différents de l’astrophysique. Il est donc difficile de prédire ce que sera la nouvelle science. Cependant, je m’attends à des résultats très intéressants sur la cartographie 3D détaillée des étoiles et de leur mouvement dans « notre » partie de la galaxie, à quelques milliers d’années-lumière du Soleil. Cela pourrait nous éclairer sur le fonctionnement des bras spiraux et la distribution de la mystérieuse matière noire.

Désormais, tu es officiellement à la retraite mais tu vas pourtant continuer à travailler sur Gaia. Pourquoi ce travail est-il si fascinant pour toi ? Quelle sera ton implication future dans les défis de la mission Gaia ?

Lennart Lindegren : Comme je l’ai déjà dit, je suis fasciné par un certain nombre d’aspects techniques du travail, en particulier par la manière dont Gaia fonctionne et comment cette compréhension peut être utilisée pour améliorer les résultats finaux. C’est pourquoi c’est cette période est passionnante. Nous apprenons à connaître l’instrument au niveau nécessaire pour atteindre la précision finale attendue, ou même peut-être mieux. Et nous pouvons voir à quel point Gaia est un instrument magnifique ! C’est vraiment un privilège de contribuer à ce travail qui, je l’espère, durera encore de nombreuses années.